On s’imagine souvent que l’orthophoniste c’est la dame (mais il y a aussi quelques messieurs) qui fait
du soutien scolaire ou que l’on va voir quand on a un cheveu sur la langue. Et bien que nenni !du
moins pour la partie soutien scolaire (même si les troubles des apprentissages font partie de nos
prises en charge, notre travail sera différent des instituteurs).
Pour faire un petit récapitulatif de nos champs d’interventions (en bref de façon très schématique) :
tout ce qui touche à la tête et au cou :
– Troubles neurologiques (post AVC, traumatisme crânien, pathologies neurodégénératives,
aphasies, anarthrie/dysarthrie… pathologies neurologiques chez l’enfant également)
– Tout ce qui touche au langage dans sa « construction » (pas uniquement l’aspect
mécanique/articulatoire) : dysphasie, troubles du langage écrit (dyslexie/dysorthographie),
troubles du raisonnement logique, dyscalculie…
– Troubles du langage et de la communication également avec les Troubles du Spectre
Autistique/Troubles Envahissant du Développement, pathologiques génétiques (trisomie,
syndromes très divers…)
– Surdité : enfants et adultes (notamment avec les implants cochléaires)
– Trouble d’articulation (le classique « cheveu sur la langue » et tous les sigmatismes)
– Retard de parole : les modifications de sons quand ils sont articulés dans un mot (par
exemple feval alors que l’enfant articule correctement le son ch en isolé), les inversions, les
omissions de sons/syllabes, antériorisations/postériorisations (ex : cro pour cor, quacre pour
quatre, pestacle etc). Je passe tout le jargon technique.
– Retard de langage : là cela se passe au niveau de la syntaxe, de la construction de la phrase.
Par exemple des mots manquants, pas d’utilisation de déterminants, pas de conjugaisons ou
erronées (les filles est …), pas de construction de phrase sujet/verbe/complément etc.
– Troubles de la fluence (bégaiement, bredouillement),
– Troubles de la voix (dysphonie pour diverses raisons : forçage vocal, chirurgie, cancer du
larynx etc).
– Troubles de l’oralité, souvent chez les tout-petits mais aussi les plus grands
– Troubles de la déglutition (déglutition atypique, dysphagie).
Bref sans faire une liste exhaustive, et comme l’a dit Mme Dolto : tout est langage. Donc en tant que
spécialiste du langage, et bien ce n’est pas une mince affaire !
Pas de panique, selon l’âge cela peut être tout à fait normal ! C’est lorsque le décalage ne se corrige
pas seul qu’il peut y avoir besoin d’un coup de pouce chez l’orthophoniste.
Dans tous les cas, si vous avez un doute (je pense notamment aux jeunes enfants), n’hésitez pas à en
parler à votre médecin/pédiatre et prendre contact avec un(e) orthophoniste. Pour avoir un repère
(sachant que chaque enfant est différent et que chacun va à son rythme), à 3ans un enfant construit
des phrases sujet/verbe/complément –pas parfaites tout droit sorties du dictionnaire !- mais
généralement il a passé le stade du mot phrase ou des phrases associant 2 mots (doudou tombé,
bébé malade, chat manger etc).
S’il ne s’agit « que » d’un trouble d’articulation isolé (par exemple l’enfant qui prononce /s/ pour /ch/
le plus fréquemment), ce n’est pas une catastrophe, il peut attendre la grande section (il y a aussi
une question de maturité neurologique et motrice, on ne peut pas forcément mettre la charrue
avant les boeufs il faut parfois laisser un peu plus de temps). Pour les retards de parole et de langage
cela peut être un peu plus tôt. Pour les rééducations de la déglutition, c’est à partir de 7ans en
théorie.
N’hésitez pas à consulter une orthophoniste si votre enfant ne parle pas ou juste quelques mots à
3ans. En effet, même si une rééducation ne sera pas forcément nécessaire, un travail de guidance
parentale peut être fait : vous donner les bons conseils pour aider votre enfant, car c’est vous qui
passez le plus de temps avec et le connaissez le mieux. Encore maintenant certains médecins ne sont
pas inquiets pour des enfants de 3-4ans sans langage (« ça va venir », « ça va se débloquer »), mais
dans le doute s’il s’agit d’une dysphasie, d’un TSA, d’une surdité non diagnostiquée ou d’une
pathologie génétique passée inaperçu, demandez à faire un bilan : ça ne mange pas de pain et peut
limiter les dégâts potentiels. Mais ça peut être aussi un gros retard de langage, qui par définition
peut se normaliser, donc pas de panique !! (l’évolution de la rééducation permet de trancher)
Le langage est un peu « la cerise sur le gâteau » dans le développement. Des bases sont nécessaires
pour qu’il se construise correctement, et ces bases vous pouvez aider votre enfant à y accéder.
J’entends souvent des parents qui veulent faire « travailler » leur enfant avec un retard de langage.
Un des conseils les plus importants pour moi : JOUEZ ! C’est par le jeu que l’enfant construit son
raisonnement et par conséquent son langage.
On ne s’en rend pas forcément compte mais le jeu est extrêmement riche :
-au niveau de la communication : on échange à tour de rôle, on se concentre sur la même chose, on
peut dénombrer, observer, rester attentif, respecter les règles… et on parle tout simplement.
Ce qu’on appelle le « bain de langage » est primordial. Si vous voulez que votre enfant parle, il faut
lui parler, cqfd ! Pas besoin de l’assaillir de questions (c’est épuisant pour lui et vous), mais n’hésitez
pas à commenter ce que vous faites, ce que vous voyez, enrichissez ses productions (par exemple :
oh la voiture ! vous pouvez préciser : oh la voiture rouge, la belle voiture rouge etc).
C’est comme cela qu’il va intégrer les sons de la langue, la mélodie de la parole, le vocabulaire, la
construction des phrases etc. Et une fois suffisamment intégrés, il pourra les mettre en oeuvre luimême
(à condition qu’il soit prêt d’un point de vue mécanique : maturité cérébrale, motrice pour
organiser l’enchainement des sons avec la bouche, suffisamment de mémoire de travail etc).
-au niveau du raisonnement : il teste, expérimente, transforme les choses pour les remettre à l’état
initial, se rend compte des propriétés physiques des objets etc. Donc ça parait peut être démodé
pour certains parents high-tech mais : vive la pâte à modeler ! et la manipulation qui certes salit
parfois la maison mais apporte beaucoup.
N’hésitez pas à chanter des comptines avec votre enfant, car le langage c’est comme la musique : il y
a des sons, des variations, du rythme, des pauses, des bruits, des blancs, des rapides, des lents, des
graves, des aigus… et la mélodie aide à retenir les mots et construire la langue. Et quoi de mieux que
votre voix, même si vous chantez comme une casserole !
Egalement : lisez des histoires ! rien de tel pour le vocabulaire et la syntaxe.
Par contre (on n’y pense pas toujours) et surtout : pointez du doigt ce que vous nommez, et assurezvous
que l’enfant regarde bien la chose que vous montrez.
Si vous lui dites « la lampe » sans la lui montrer (en vrai ou sur un livre), ou alors qu’il regarde à côté,
il ne fera jamais la relation mot lampe-objet réel, ou alors de façon variable, et utilisera les mots de
façon aléatoire. D’où l’importance de s’assurer que votre enfant voit bien (il peut y avoir un souci
ophtalmologique ou orthoptique).
De même assurez-vous qu’il entende bien. Soyez vigilant aux bouchons et otites à répétition. Si votre
enfant a souvent des soucis ORL n’hésitez pas à consulter un spécialiste.
Eveillez-le au monde qui l’entoure, remettez-vous à son âge et redécouvrez les petites choses que
l’on ne remarque plus avec le temps. Faites lui prêter attention aux sons qu’il entend (un avion, une
tondeuse, un oiseau qui chante…), aux choses qu’il voit (un nuage, un coquelicot, un réverbère, une
vitrine etc). Cela fonctionne pour tout, mais surtout : nommez les choses par leur nom. Pas toujours
facile vu que les « trucs » et « machins » ou « ça » sont très utilisés au quotidien, mais c’est une
gymnastique très utile pour votre enfant (et vous pour vos vieux jours !).
Dernier petit conseil : tout cela, une télévision, un ordinateur, un téléphone portable ou une tablette
ne pourra pas le faire à votre place. Si vraiment vous êtes accros, partagez avec votre enfant et
commentez ce que vous voyez, discutez avec lui, ne le laissez pas tout seul devant un écran (limitez
quand même fortement le temps d’exposition aux écrans, dans tous les cas en théorie aucun avant
3ans, cf la campagne 3-6-9-12 de Serge Tisseron)
Alors maintenant, à vous de jouer !